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En communauté

Lorsque j’avais 14 ou 15 ans, j’ai été profondément marquée par la lecture des livres Les dames du lac écrits par la romancière américaine Marion Zimmer Bradley. Cette relecture du mythe du roi Arthur d’un point de vue féminin m’a présenté une Morgane bien différente des récits habituels où elle était associée à une sorcière malveillante. Dans cet univers, Morgane est une prêtresse d’Avalon, gardienne d’anciens mythes païens qui animaient le territoire devenu le Royaume-Uni avant l’époque catholique.

En relisant le livre récemment, en repensant à l’adolescente que j’étais, je réalise que ce qui me fascinait le plus n’avait rien à voir avec la foi, mais bien avec la communauté. Ces femmes qui vivent ensemble dans un quotidien ritualisé, l’apaisement qui semblait naître de cette vie, la place qu’elles prenaient dans le monde par leur rôle de détentrice d’un certain savoir : tout cela me parlait en profondeur!

Plusieurs années plus tard, j’ai eu à peu près la même fascination cette fois pour le portrait de la communauté religieuse des enseignantes dans le roman de Michel Tremblay Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges. Encore une fois, ce portrait d’une communauté de femmes qui vivent évidemment des tensions et des bonheurs, mais qui trouvent entre elles leur raison de vivre, m’a charmée. Tellement que j’étais un peu déçue à la fin du roman quand sœur Sainte-Catherine décide de quitter sa communauté (le roman se passe en 1942).

Évidemment, on ne peut jamais être certains de rien, mais je pense bien que j’aurais choisi la voie religieuse si j’avais vécu à une autre époque. Je ne suis pas certaine que ma soif de savoir, mon amour du silence et mon besoin de me sentir utile à la communauté auraient été comblés par une vie de femme au foyer. Évidemment, la vie contemporaine nous offre une grande liberté de faire ce qu’on veut de notre quotidien. Nous pouvons même changer d’idée plusieurs fois quant à nos projets de vie! Mais malgré cela, j’ai passé le cœur de ma vie adulte à trouver que la vie contemporaine n’offrait pas beaucoup de réponses à celles qui ne souhaitent pas consacrer leur vie à trouver le bonheur dans le couple.

Avoir des enfants ou non? Travailler ou rester à la maison? Se marier ou vivre en union libre? Les choix sont multiples. Mais choisir le célibat? Pourquoi? L’amour romantique, le couple ou ses dérivés sont toujours présentés comme le cœur de tout, la clé absolue du bonheur. Choisir de s’extraire de cette attente apparaît toujours comme une bizarrerie et il reste vrai que ça vous plonge dans une très grande solitude. J’ai fini par comprendre que c’est ce qui me séduisait dans les récits des communautés de femmes, communautés qui existaient dans presque toutes les sociétés traditionnelles, mais qui se font plus rares dans nos sociétés postmodernes et laïques. Cette sororité, cette nouvelle famille créée par la vie en communauté, cet espoir aussi de ne pas vieillir seule, me séduit. Je n’ai jamais sérieusement pensé rejoindre une communauté religieuse parce que je n’ai pas cette foi qui est au cœur de ce choix et qui me permettrait d’être absolument sincère dans cet engagement. Mais c’est vrai qu’entre 25 et 35 ans environ, je me suis beaucoup demandé s’il existait un équivalent laïc de la communauté religieuse. J’aurais voulu « rejoindre » une communauté, j’aurais souhaité que mon célibat ne soit plus perçu comme un « en attendant », que mon choix de faire ma vie autrement, loin de l’obligation de l’amour romantique comme seul sens à la vie soit entendu, accepté, compris et même célébré.

Pourquoi cette question m’a-t-elle quitté après le milieu de ma trentaine? Simplement parce que malgré l’absence de goût pour le couple, j’avais toujours eu envie de devenir mère. En adoptant une petite fille, ma vie a pris un nouveau tournant et maintenant que ma maternité définit beaucoup de qui je suis, mon célibat semble moins faire tache. Et il faut dire que je suis pas mal occupée, donc j’ai moins de temps pour me poser des questions existentielles sur ma place dans le monde! Mais je m’attends à ce que ces questions me reviennent quand ma fille sera grande et qu’elle aura ouvert ses ailes et quitté le nid. Je rêverai encore de ce quotidien ritualisé, où la sororité permet de tisser des liens avec ses semblables et où le fait d’échanger et de bâtir ensemble une communauté donne un sens. Me reste à trouver une communauté qui me conviendra… Ou à la fonder!